Folle, stupide, naïve. Adelheïd ne savait pas quel adjectif la qualifiait au mieux en cet instant précis. Elle courait comme une folle dans le passage qui menait au château alors qu'elle avait horreur de courir. Elle était habillée d'une simple robe noire avec de longues manches alors qu'à cette heure, il lui aurait fallu gants, ombrelle et lunettes de soleil. Elle n'avait rien de cela sur elle. Elle était sortie en catastrophe de sa chambre et sa salle commune quand elle s'est enfin rendue compte qu'elle n'avait pas son livre, quand elle s'est enfin rendue compte où elle l'avait laissé. Ce livre qu'elle avait eu tant de mal à avoir, ce livre pour lequel elle avait pratiquement harcelé la bibliothécaire avant les vacances pour qu'elle le lui réserve à la rentrée prochaine. Elle l'avait finalement eu et voilà que, comme une idiote, elle l'oubliait dans un coin du château. Hors de question de perdre une seconde : quelqu'un aurait tôt fait de le trouver et le garder pour lui. Et même si le soleil était au Zénith, tant pis : elle aviserait. On pourrait penser qu'à DASY le soleil n'est pas un problème, quelque soit l'heure du jour, sauf que bien sûr, la petite vampire n'avait pas fait les choses à moitié. Elle avait laissé le livre dans un des endroits les plus exposés aux rayons du soleil : à la fontaine de marbre. Pourquoi là-bas ? Pourquoi pas un autre endroit, moins exposé ? Non, il a fallu qu'elle le laisse là où elle s'était arrêtée un moment pour contempler la lune et écouter le clapotis des gouttes s'élevant dans l'air et retombant dans son élément en forme géométrique maîtrisée. Elle aurait bien put également s'arrêter dans un des endroits ombragés de la cour, mais non, elle a voulu s’asseoir sur le bord de la fontaine pour pouvoir caresser des doigts le liquide translucide et réfléchissant. A cet instant, elle avait éprouvé une certaine forme de plaisir et de sérénité. Désormais elle se flagellait mentalement et le seul sentiment qui lui restait était l'angoisse.

Le voilà ! Il était là, là où elle l'avait laissé. Un sentiment de soulagement l'inonda tandis qu'elle s'élança pour... elle se stoppa net à un pas de la lumière. Le soleil inondait la cour. Comment était-elle arrivée là dans ce cas ? Passages souterrains, chemins étroits en restant le plus possible à l'ombre, à vrai dire Adelheïd n'avait pas réfléchit : elle avait foncé, peu commun pour l'Olen qu'elle était. Elle serait donc bien incapable de vous dire comment elle se trouvait là mais le fait était qu'elle était là, aux abords d'un chemin ombragé. Et le soleil était là aussi, son ennemi juré, sa phobie. Le sentiment de soulagement fut de bien courte durée et le déchirement prit sa place. L'angoisse fit son retour tandis qu'elle scrutait d'un regard avide son livre, espérant qu'il viendrait de lui même à elle. ...De lui-même ? La petite vampire plongea sa main dans la poche de sa robe et soupira : comment pouvait-elle être aussi bête et oublier sa baguette sur son lit dans une situation si critique ? A-t-on le droit d'être aussi tête en l'air quand on se trouve dans la prestigieuse maison d'Olen ? Sa seule solution était de se brûler pour récupérer le livre ? Elle avança une main tremblante et hésitante vers la lumière mais se ravisa, serrant sa précieuse main contre sa poitrine. La peur était bien trop forte, elle devait le reconnaître. Une grande détresse l'assaillit, elle ne savait pas quoi faire. Elle restait là, à scruter le bouquin, en formulant intérieurement des prières pour que le livre se déplace de lui-même vers elle ou pour que le soleil descende plus vite. Mais les vampires ont-ils le droit de prier ? Ça devait être une sorte de calomnie puisque le soleil finit par sembler de plus en plus lumineux. A moins que c'était notre jeune vampire qui le supportait de moins en moins ? Elle commençait à avoir mal à la tête, à force de regarder ce marbre blanc plongé de lumière, à force que les scintillements de l'eau cherchent à titiller constamment ses yeux, à force que le livre reste immobile dans tout ce rayonnement. Et plus elle insistait pour continuer à le scruter, plus elle avait mal. Le soleil a bien des tours, pas seulement ses rayons, pour rendre la vie impossible aux nocturnes.

Elle était à un point où elle ne supportait même plus de regarder le livre. Elle ferma les yeux, se les cacha d'une main, mais les scintillements continuaient à danser et sa migraine continuait à frapper. Maudit soleil. Que faire ? Elle ne pouvait pas récupérer le livre et ne pouvait même plus le surveiller. Elle ne pouvait plus attendre. Et elle avait beau réfléchir, il n'y avait qu'une solution qui lui venait à l'esprit : demander de l'aide à un diurne. Elle n'aimait pas demander de l'aide. Adelheïd était une personne fière et demander de l'aide était une action qui mettait un coup à sa fierté. Mais elle n'avait pas le choix. Qu'allait-il advenir du livre sinon ? Alors, de sa seule main de libre qui lui restait, son autre main étant toujours sur ses yeux, les protégeant du soleil tandis qu'une seule petite ouverture entre ses doigts lui permettait de discerner formes et mouvements, elle attrapa le bras de quelqu'un (semblant être un homme d'après la stature et la forme du bras) qui passait près d'elle. De quelle maison et année était-il ? Etait-il même un élève ou un professeur ? Etait-il un humain ou un loup-garou ? En cet instant précis, Adelheïd s'en fichait. Elle se demanda seulement s'il parlait russe. Faible possibilité vu les statistiques de personnes qui parlent russe dans cet établissement. Il fallait donc adopter un autre langage, le seul qu'elle connaissait à part sa langue maternelle. Enfin... connaissait... ça faisait un an qu'elle l’apprenait seule... c'était pas non plus Byzance... Néanmoins, rassemblant tout son courage et ravalant sa fierté, elle demanda dans un accent très prononcé :

« Help.... please.... book... »

Puis, relâchant son étreinte du bras du mâle non identifié, elle pointa un doigt vers la direction de la fontaine.

C'était une belle journée, les oiseaux piaillaient joyeusement, le ciel était clair, la température idéale, les gens gentils- ou pas. Si le reste était bon, ce n'était pas So Yung qui allait s'accorder pour dire que les gens étaient plus sympathiques aujourd'hui qu'ils ne l'avaient été hier. Encore et toujours à se foutre de lui, il commençait à en avoir marre. Les petits sorciers devraient surveiller leurs paroles en présence du grand méchant loup, parce que si le kaban était encore un simple louveteau, il se montrait très susceptible ces derniers temps, et avec les cours précoces qu'il recevait de ses aînés loup-garous, il ne lui faudrait que quelques mois, voir une année, avant de pouvoir mettre une patte à la gueule de ceux se moquant sans arrêt de lui. S'il avait su les conséquences de faire connaître à quelques personnes ses phobies, il aurait fermé sa bouche et serait rester discret. Malheureusement, ce n'est pas facile de cacher de telles phobies, et il avait cru stupidement qu'en parler l'aiderait à rencontrer quelqu'un pouvant le rassurer ou lui donner des pistes pour se sortir de ses peurs, mais ce genre de personnes semblaient ne pas exister, et au final, il ne s'était attiré que des rires et des moqueries. Étant chez les kaban, il n'avait pas trouver cela spécialement surprenant. Les jaunes adoraient se moquer des autres et surtout du manque de courage des autres. Un jaune peureux? C'était rare, et comme il en était un par moment, il était devenu une cible facile pour leurs blagues. Ce n'était jamais bien méchant, ni insultant, mais c'était pénible à la longue.

Et c'était encore pire depuis la venue des akiniens.

Étant demi-canin de naissance, il était habitué à son petit monde bien rangé de loup-garous et de vampires, la venue des sorciers étaient une chose toute nouvelle pour lui. Au départ plutôt curieux et amical, il s'était vite rendu compte que les sorciers n'avaient pas la même. Comment dire. Solidarité que les autres créatures. Il n'avait jamais été regardé comme s'il était une race inférieure depuis sa naissance, n'ayant côtoyé toute sa vie que des demis-hommes. Cela l'avait surpris et choqué, il devait l'avouer, mais finalement il s'était vite aperçu que ce n'était pas tous les humains qui avaient ce comportement mesquin. Mais les plus méchants ne le lâchaient plus désormais, et en bonne victime involontaire, il préférait nettement répliquer et se défendre sans succès, ce qui ne faisait qu'augmenter leur plaisir. Et au final il repartait la queue entre les jambes, ridiculisé et furieux.

Voulant aujourd'hui éviter cela, pour une fois, il avait jouer contre lui-même pour éviter tous les endroits où les kaban avaient l'habitude de se rendre entre les cours, pendant les pauses, et même sur les heures de repas. Pour refaire la paix avec lui-même. Évidemment, comme ce n'était jamais il le désirait, il n'avait pas pu beaucoup s'amuser ou rester au calme, se déplaçant sans arrêt en tentant de trouver quelque chose d'amusant à faire sans succès. Être seul n'était vraiment pas dans sa palette de loisir quotidien, ça c'était sûr. Rester calme et ne rien faire non plus. Il préférait presque les rires moqueurs au silence étouffant et ennuyant. Pour se divertir, il avait finalement décidé de sortir pour aller courir un peu dans la forêt. Il avait fait cela pendant près d'une heure, galopant plus que courant, tentant de dépenser toute l'énergie qu'il avait emmagasiné en s'ennuyant toute la journée, lâchant quelques rugissements pour effrayer les oiseaux -ou toutes autres créatures se trouvant dans les environs-. Il s'était arrêté pour méditer à la clairière, comme un de ses aînés lui avait apprit, puis avait reprit sa course, beaucoup plus calme, pour retourner au château. Et avant même se pouvoir rentrer pour manger, parce que courir aussi longtemps, ça donne faim, un bras le happa, le faisant couiner de surprise, et il se retourna vivement, tentant de reprendre un rythme cardiaque normal après la frousse qu'il avait eut. Il fixa quelques secondes la main féminine posée sur son avant-bras, puis suivit le poignet, remontant jusqu'à l'épaule, puis arqua un sourcil en avisant le visage à demi-caché par une main. Pourquoi se cachait-elle le-oh. Il cligna des yeux un peu bêtement et redescendit les yeux vers sa main, remarquant enfin la froideur de la peau touchant la sienne. Une vampire.

Un léger frisson d'inconfort le saisit, et il eut vaguement peur que sa phobie explose, mais finalement il ne sentit pas son angoisse augmenter, ni les éternelles réactions physiques qui précédaient une de ses crises de panique. Non, cette vampiresse n'éveillait pas sa stupide peur. Safe game. Il finit par accorder son attention à ses mots, reprenant un peu confiance en lui. Help...please... bon, elle avait besoin d'aide. Il n'était certainement pas une bête en anglais, et il avait toujours des difficultés frappantes avec cette langue, mais il connaissait au moins certaines bases d'urgence. Book. Livre? Un livre d'aide? Uh? Il ne comprenait pas. Il sentit la main bouger et les doigts fins pointèrent en direction de la fontaine, le faisant sourciller. Il plissa un peu les yeux, la blancheur immaculée du marbre reflétant le soleil comme un véritable miroir lumineux, et il finit par apercevoir la tâche sombre sur le pourtour de l'eau. Un livre. OH! Elle voulait le livre! Oh, oh. Ah oui, c'était logique. C'était une vampire, elle avait donc besoin d'aide pour récupérer son livre se trouvant en plein centre d'une parcelle de cour particulièrement ensoleillée. Bien sûr, ahah. Donc, oui. Ce n'était pas un problème, en bon kaban galant il allait sans attendre lui récupérer. Enfin. Presque sans attendre. «Pas de- eum. Yes, I...I can go.» Il grogna intérieurement, se maudissant de ne pas avoir écouter ses parents quand ceux-ci lui avaient conseillé de prendre des cours d'anglais. Jugeant que c'était inutile, il avait refusé sèchement...grave erreur. «Reste ici. Don't move.» Il s'assura qu'elle était bien à l'ombre et alla récupérer le livre tranquillement, plissant un peu les yeux à cause des forts rayons faisant briller l'eau claire, et retourna au près de la demoiselle en détresse. « Voilà. Ça va? You are okay?» Il prit sa main libre, celle qui ne cachait pas son visage, et y déposa le livre. Mais il s'inquiétait un peu. La jeune femme n'avait vraiment pas l'air dans son assiette.

Le garçon était en sueur. Son pouls était rapide. C'était mauvais signe. Aurait-elle du attendre quelqu'un avec un pouls moins vivace ? Peut-être. Celui-ci se manifestait clairement, comme si le sang souhaitait sortir des veines et des artères. Se concentrer, elle devait se concentrer, ce n'était pas le moment d'avoir faim. Pas alors qu'elle lui demandait son aide. Elle devait simplement récupérer le livre et partir. Le mâle compris ce qu'elle demandait. Son anglais semblait rudimentaire. C'était mieux : des phrases courtes et directes la satisfaisaient amplement. Ils se comprendraient ainsi. Son bras montrant la fontaine retomba le long de son corps. Il n'était pas préférable de le toucher tant que son rythme cardiaque ne s'était pas calmé. Les lèvres fermement serrées, elle l'entendit lui demander de ne pas bouger. Et où voulait-il qu'elle aille ? Surtout qu'elle avait fait tout ce chemin pour ce livre, ce n'était pas pour rebrousser chemin alors qu'elle avait enfin trouvé un moyen pour le récupérer. Les oiseaux continuer à piailler comme des fous, n'arrangeant pas sa migraine, tandis qu'elle entendit ses pas s'éloigner. Elle frotta les doigts de sa main pendante les uns contre les autres, ils étaient moites par la sueur du garçon. Curieuse, peut être à cause de la faim soudaine qu'elle avait ressenti un peu plus tôt, elle porta ses doigts à son nez pour sentir l'odeur du garçon. Elle ne lui plut absolument pas, réduisant à néant les dernières petites tentations de le mordre. Maintenant qu'il l'aidait et qu'elle avait senti ça, aucune chance que ses crocs se retrouvent dans le cou masculin. On aurait dit... comme une odeur... animale... de chien peut être ? Elle avait déjà mangé un chien une fois. Ses parents l'avaient enfermée et ils lui avaient donné un chien tout juste tué pour dîner. Les rats étaient pires, mais le chien restait tout de même infect. Au moins, grâce à cela, ses parents lui avaient appris le goût du sang. Rien de mieux que le sang humain finalement. Certains fins palais pouvaient même aller jusqu'à distinguer le rhésus. Ses parents ne sont pas allés jusque là dans son éducation.

Le garçon revint en lui demandant si elle allait bien. Franchement, à ses yeux, elle en avait l'air ? Elle avait toujours sa main sur ses yeux et, bien que les scintillements à l'intérieur de ses paupières semblaient commencer à diminuer, sa migraine était toujours belle et bien présente. Elle sentit ses doigts prendre avec précaution sa main libre et l'avancer vers lui doucement. Bientôt elle finit par sentir le contact familier d'une reliure de livre. Sa main qui cachait ses yeux descendit sur le livre également et le caressa. Cette taille, ce poids, ces formes sur la première page et le dos, c'était bien lui. Pas besoin d'ouvrir les yeux pour confirmer. Néanmoins, elle confirma. Elle papillota les yeux, fronçant les sourcils à cause de la lumière et sa migraine et reconnut la couleur. Elle put de nouveau fermer les yeux rapidement avec un large sourire sur les lèvres. Oui, là c'était bien du soulagement.

« Merci beaucoup ! »

Dit-elle de son russe parfait en serrant son livre contre sa poitrine et en s'inclinant devant l'inconnu. C'était comme ça qu'ils faisaient, les asiatiques, non ? Oui, pour quelques secondes, elle allait bien. Elle avait toujours sa migraine, elle ne savait pas comment retourner à son dortoir, mais pendant ces quelques secondes de retrouvailles avec son livre, cela n'avait plus d'importance. Même le fait qu'il ne parle pas russe ne la dérangeait pas.

« Thank you. »

Traduisit-elle, bien qu'elle pensait que cela soit inutile, en s'inclinant de nouveau. Puis elle s'inclina une troisième fois pour indiquer qu'elle s'en allait désormais. Et cette fois, son sourire avait disparu. Comment allait-elle faire ? Il allait bien falloir ouvrir les yeux. Elle papillota de nouveau les yeux et fronça presque aussitôt les sourcils. Ses yeux étaient si bien dans leurs propres pénombres qu'ils n'avaient aucune envie de retrouver la luminosité du jour. Surtout une telle luminosité. Pourtant, elle continua à papilloter jusqu'à ce que ses yeux acceptent la dure réalité et de lui montrer la lumière, puis les formes, ensuite les couleurs et finalement les détails. Sa migraine semblait redoubler. Le soleil voulait apparemment la retenir prisonnière dans ce lieu. Mais elle y arriverait. Pour faire le point, elle se concentra sur la première chose qui se trouvait devant elle, c'est-à-dire le garçon.

Grand, une certaine pilosité, c'était un loup-garou. Les grands-parents vampiriques avec leurs histoires de grandes guerres entre loups et vampires pouvaient aller se rhabiller. Couleur jaune sur son uniforme, c'était un Kaban. Elle a eut de la chance de tomber sur quelqu'un qui ne souhaitait pas s'amuser. Il avait les traits doux, ce qui était plutôt agréable à regarder pour un loup-garou. Après un moment à le détailler, elle sourit doucement. Elle avait peur de l'effrayer à force de l'observer sans rien dire, les sourcils froncés et les yeux plissés. Elle s'inclina une nouvelle fois pour dire qu'elle était vraiment partie et reprit son chemin en sens inverse... du moins, elle essaya. De deux à trois pas plus loin, elle chancela et s’appuya de la main contre un arbre pour se rattraper. Il était beau l'avenir vampirique. Même pas capable de marcher droit. Même pas capable de se tenir sur ses pieds. Même pas capable de maîtriser une simple migraine. Et tandis qu'elle était appuyée, elle se demandait comment elle allait faire pour retourner au château. Elle ne voyait presque rien à cause de la lumière, sa migraine l'immobilisait et elle ne se rappelait même plus quel chemin elle avait emprunté pour arriver jusqu'ici. Adelheïd se demanda ce que penseraient ses parents s'ils la voyaient. Seraient-ils inquiets ou se moqueraient-ils d'elle ? Sans doute la deuxième hypothèse. Et ce fut surtout pour cela qu'elle se sentit pitoyable.