C'était une journée étrange. Presque irréelle. Comme d'habitude, Prisca avait donné son cours du matin aux septième année de Serpentard et Serdaigle, entre onze heures et midi – un cours qu'elle appréciait tout particulièrement pour la finesse d'esprit de ses élèves. Mais ce jour-là, le cours avait été... bizarre... presque anormal. Déjà à cause de son propre agacement. Les devoirs qu'elle avait à rendre étaient tout simplement merdiques, il n'y avait pas d'autre mot. Elle savait que la proximité du bal d'Halloween et, plus encore, des vacances ne faisait que rendre l'esprit des élèves plus volatile qu'il n'était habituellement. Mais tout de même. Ils étaient en septième année, ils avaient leurs ASPIC en juin. Bref, ce n'était vraiment pas le moment de se relâcher. Mais surtout, ce qui lui avait paru étrange, c'était l'attitude de Judikael Lawford. Il avait paru somnoler tout le long du cours et n'avait eu aucune réaction particulière quand elle lui avait rendu son devoir de traduction – dont la note, un grand P aux angles pointus, aurait pourtant dû lui tirer une quelconque émotion.

Quand la sonnerie avait retenti pour l'heure du déjeuner, Lawford s'était enfui à toute vitesse, ce qui n'avait fait qu'ajouter au sentiment de la jeune française. Il se passait quelque chose de bizarre. Elle finirait bien par trouver quoi... Elle s'était donc contentée de se rendre à la Grande Salle comme tous les élèves et, assise à côté de Severus comme à tous les repas, elle s'était laissée emporter dans une discussion dont ils avaient le secret. Finalement, le déjeuner avait été la seule chose à peu près normale dans la journée, et c'était avec un certain sentiment de réconfort qu'elle était retournée assurer ses cours de l'après-midi. Elle avait les troisième année de Poufsouffle et Gryffondor, peut-être que s'occuper d'élèves plus jeunes la calmerait un peu...

L'après-midi s'était écoulée tranquillement, et Prisca avait rejoint Declan. Le professeur d'étude des moldus était un homme généreux, avec qui elle aimait beaucoup parler mais, surtout, il était le frère aîné de Judikael et elle avait besoin de savoir ce qu'il avait. Lawford avait beau être un Serpentard, il restait un de ses élèves. Et elle avait le bien être de ses élèves très à cœur. Sans compter que ce ne serait pas Severus qui lui dirait quoi que ce soit au sujet du jeune homme. Autant aller voir la famille, donc, et cette discussion avec Declan avait été très productive... Enfin, jusqu'à ce qu'un élève de Poufsouffle ne vienne les trouver pour leur dire que deux élèves étaient en train de se battre dans les couloirs comme des chiffonniers. Devinez donc qui se battait ? Lawford et Blackwood, c'est ça, vous venez de gagner le premier prix. Les deux professeurs s'étaient empressés de séparer les deux jeunes hommes et, pendant que Declan s'occupait de Blackwood, Prisca avait interrogé les élèves qui avaient assisté au pugilat. Et, évidemment, Judikael s'était enfui comme un voleur. « Je vous laisse vous occuper de monsieur Lawford, professeur Beaugrand. Je vais accompagner monsieur Blackwood à l'infirmerie... » Elle s'était contentée d'acquiescer d'un signe de tête, ses yeux bleus virant doucement au gris orage. Elle n'était pas contente. Vraiment, vraiment pas contente.

Bref, c'était pour cela qu'elle était dans le parc de Poudlard, sous un ciel menaçant, en train de se diriger à grands pas vers Judikael. Ce dernier ne tarda d'ailleurs pas à la remarquer et lui renvoya un regard particulièrement noir, sans doute destiné à lui faire peur – mais Merlin savait qu'elle avait vu pire pendant la guerre. « Debout, Lawford. Tout de suite. Votre Directeur de Maison m'en voudrait si j'usais de la magie contre un de ses précieux élèves. » La voix de la jeune française était froide, sans émotion, comme d'habitude quand elle parlait d'autre chose que des runes ou de sa famille. Ainsi dressée de toute sa hauteur, les yeux aussi durs que des pierres et la voix dénuée de toute trace d'émotion, elle était impressionnante. Elle le savait. Impressionnante en dépit de son ventre rond et de sa robe d'une douce couleur pêche. Décidant finalement que Judikael mettait un peu trop de temps à lui obéir, elle tira sa baguette de sa manche et l'agita légèrement pour le mettre debout. « Ne bougez pas. Ce serait dommage d'abîmer votre gueule d'ange plus qu'elle ne l'est déjà. » Prisca pointa sa baguette sur le nez du Serpentard. « Episkey. » Le flot de sang s'arrêta immédiatement, la peau reprit une couleur normale, le nez redevint droit. « Tergeo. » Le sang se volatilisa. Encore un coup de baguette et les affaires de Judikael se rassemblaient toutes seules pour se ranger bien sagement dans son sac, lequel voleta doucement vers la Directrice des Serdaigle.

Celle-ci le tendit à son élève avec autorité, les yeux étincelant de colère. « Tenez. Ce n'est vraiment pas le moment de vous relâcher, Lawford. » Son expression finit par s'adoucir. Elle soupira, croisa ses mains sous son ventre, sans lâcher Judikael du regard. Elle pouvait comprendre l'état d'esprit du jeune homme depuis la mort de sa sœur, depuis que Greyback avait été lâché sur lui. En tant que membre du corps professoral, elle avait bien évidemment été mise au courant de sa lycanthropie. Mais c'était Declan qui lui avait tout dit pour la mort d'Elma. « Judikael, il serait vraiment temps que tu te reprennes en main. Je sais, c'est plus facile à dire qu'à faire, et puis après tout je suis qui pour te faire la morale, hein ? C'est ce que tu dois te dire. Mais on a tous perdu quelqu'un pendant la guerre, on a tous vécu des choses horribles. Toi, moi, le professeur Rogue, des inconnus qu'on ne rencontrera jamais sans doute. » Prisca se tut, posa ses mains sur les épaules du jeune homme pour les serrer avec force. « Ma mère est morte aux mains des Mangemorts, Judikael. J'ai failli mourir moi aussi. Plus d'une fois. Pourtant j'ai gardé la tête haute. Je fais comme si rien ne s'était passé parce que si on se complaît dans le passé, on n'arrive pas à s'en sortir. On finit par rester seul, oublié de tous. Je ne dis pas par là qu'on doit mettre sous silence ce qu'il y a eu durant cette foutue guerre, ce serait complètement stupide. Mais tu dois faire ton deuil. »

Prisca avait conscience que c'était toujours quelque chose de plus facile à dire qu'à faire. Elle fronça le nez, fit apparaître une couverture sur le sol et se laissa tomber lourdement dessus, une main sur son ventre décidément trop imposant – vivement l'accouchement. Elle fouilla dans les plis de sa cape, en tira son propre paquet de cigarettes et un briquet en acier gravé. Si jamais Caël apprenait ça, il la tuerait, mais pour le moment... Elle alluma le cylindre de tabac et tira longuement dessus, observant la fumée tracer des volutes étranges dans les airs. « Allez, assied-toi. » Elle tapota la couverture sur sa droite, appuya son dos contre le tronc de l'arbre. « Ca va sans doute te paraître déplacé, ou stupide, enfin je ne sais pas... mais on m'a appris que se confier à des inconnus était parfois plus facile que se confier à un membre de sa famille – d'où l'utilité des psychomages. Je ne suis peut-être pas psychomage, mais tu peux toujours me parler. Si tu en as envie. »