Le col de sa veste en cuir remis, une dernière fois, en place - dans un mouvement machinal sans grand intérêt, mimant celui perpétué par bon nombre d'acteurs légendaires, sensé vous donner des airs d'une rock-star; le pas de danse dit du 'coq pavanant', auquel Daisuke pouvait se vanter avoir atteint la virtuosité, adopté avec aisance; son torse bombé à outrance, respirant une suffisance et un amour propre aussi démesurés, presque indécents, que l'était sa confiance en soi; le cadet des Minami était fin prêt, sur son trente-et-un et en état de défier quiconque oserait mettre en doute son potentiel 'sex-appeal', pour cette fête organisée par les élèves de la capitale qui occupait toutes ses pensées depuis voilà plusieurs semaines et malgré son train de vie qui ne manquait, pourtant, pas de piquant. Car ce quotidien-là, le décor nocturne de la jeunesse de Naha, celui d'Okinawa-même, Minami le connaissait maintenant par coeur, après dix-huit années de vie sur l'île. Alors que les ados tokyoïtes, eux, ne pouvaient que faire rêver. Et leur en mettre plein la vue serait un parfait début des festivités pour la vaniteuse, et non moins confiante sur son autoproclamé physique privilégié, personne Daisukienne.

Se postant, alors, devant son frère tel un combattant victorieux, le menton fièrement relevé, et laissant à ses lèvres tout le loisir de s'étirer en un sourire narcissique, Daisuke l'entendait déjà - l'écho du flot de compliments à son adresse, louant son sens du style et autres de ses attributs... Pourtant, agenouillé sur le petit tatami de leur tout aussi minuscule appartement, et entouré d'une forteresse de manuels scientifiques, l'ainé ne semblait pas capter la même fréquence que son frère. Quelques secondes suffirent à ce dernier, pas du genre étouffé par la patience dans son intrépide vie, pour recommencer à s'agiter, raclant sa gorge de façon on ne peut plus suggestive adressée à son ainé, récoltant enfin une réponse: un bref « Quoi ? » marmonné dans la barbe, avant qu'une paire d'yeux ne se relève d'un bouquin pour se poser sur le principal intéressé, scrutant sa silhouette pendant un court instant et, apparemment, sans grand intérêt. Le cadet ne fit que grimacer à la question et dévier ses bras sur les côtés, l'état des choses étant, selon lui, évident et ne nécessitait pas plus ample développement: c'est d'un avis extérieur qu'il avait besoin. Officiellement. Mais Takeshi savait, depuis le temps, que toute critique négative serait superflue, car jamais prise en compte, et que c'est une énième louange que Daisuke réclamait silencieusement. Soupirant alors, le plus vieux s'exécuta, comme à chaque fois, ayant depuis longtemps appris à ne pas mettre en doute l'estime que son frère portait à sa propre personne, au risque de sanglantes représailles.

« Un vrai Adonis... » balbutia-t-il, l'enthousiasme n'étant clairement pas ce qui emplissait son être en cet instant. Un détail que Daisuke ne laissa pas passer, fixant son frère d'un regard réprobateur devant ce manque d'intérêt porté à sa, assurément, impressionnante personne. Et il ne se serait pas fait prier pour le faire remarquer au plus vieux, si seulement ses neurones n'étaient pas restés en mouvement autour de l'identité de cet individus auquel Takeshi avait fait référence. Ado-qui ? Une connaissance commune ? Pourtant Daisuke avait beau y réfléchir, son identité ne lui disait rien. Alors, après un court silence où on pouvait tout de même entendre son cerveau surchauffer et observer son regard confus qui en disait long, ce dernier rétorqua enfin, se résignant dans son sort de celui-à-la-mauvaise-mémoire-mais-ne-perdant-rien-de-son-charme:

« Ouais, tes potes, je les connais pas. Puis d'ailleurs je doute que ce soit un compliment que d'y être comparé. M'enfin, s'tu l'dis... » soupira-t-il, avant d'arranger quelques mèches d'une main passée dans ses cheveux et enfiler ses bottes. S'apprêtant déjà à quitter leur modeste habitat, Daisuke attrapa la poignée de la porte, quand un murmure le fit se retourner sur place:

« Rustre... »

Non, vraiment, il avait besoin de s'acheter une vie c'ui-là. Vieux jaloux pathétique.

« Don't hate me 'cause i'm beautiful mon frère. » chantonna le brun. « Ciao~ »

Sur cette dernière réplique Minami claqua la porte et dévala les escaliers, puis la rue, avant de sauter dans le premier bus passant par le « fameux » village perdu dans la cambrousse où se déroulait la fête des tokyoïtes. Enfin il allait pouvoir approcher des êtres civilisés de son niveau, se faisant rares dans le coin. Ce-pensant, l'idée d'une escapade sur le continent, et plus précisément sa capitale, se faisait de plus en plus concrète dans l'esprit de Daisuke. Et c'est, donc, en rêvassant de sa future vie mondaine qu'il entendit le conducteur annoncer le bon arrêt, le ramenant à la réalité. Et surtout, faisant germer une autre résolution dans sa tête: avant toute tentative de fuite de l'île et un départ à la conquête de la mégapole, il fallait peut-être songer à avoir son permis. Parce que vraiment, un bus, ça craignait sur l'échelle du top-glamour.

Minami connaissait déjà bien ce coin, travaillant de temps en temps dans l'auberge accueillant les jeunes de la capitale, et n'eut aucune difficulté à trouver le point de rendez-vous à la plage non loin du bâtiment. Mais, engagé dans des montagnes de sable fin avec ses bottes militaires, on ne pouvait pas en dire autant de sa démarche. C'est avec des allures d'un manchot qu'il se déplaça alors, observant avec une déception non dissimulée l'ambiance un brin inexistante de l'évènement. Ce qui était sensé être LA soirée de sa vie n'était en fait qu'une sorte de barbecue géant entre amis. Dans ce fichu sable ! Donnant un coup de pied dans le vide, Minami migra de quelques pas vers l'Ouest, près de l'océan, trouvant une solution en le fait de marcher sur de la terre durcie par de l'eau et soupirant enfin d'aise. Trop peu, malheureusement, pour lui remonter le morale à la découverte de cette grosse réunion familiale à la place de ce qu'il s'était imaginé. Alors, il scrutait les hauteurs à la recherche d'une tête connue, avançant à l'aveuglette. Et c'est une crinière blonde peroxydée qui sembla attirer enfin son attention, alors que ses yeux brillaient pour la première fois d'excitation depuis son arrivée, que son bras s'élevait en l'air et que sa voix résonnait dans le but d'attirer l'attention du jeune décoloré. Tout du moins, de ce qu'il eut le temps de formuler...

« Nakatsu- pfeu~#ejgk*ik/,... » se vautrant par terre, son visage en premier, tel un estropié des deux jambes et, par la même occasion, de tout sens d'équilibre, Minami crachait du sable - oh ce sable =w=, pestant après quiconque avait eu la débilité de mettre quelque chose sur son passage. Et lorsqu'il se releva enfin, se nettoyant brièvement la figure et lançant un « MERDE ! » sonore, l'objet responsable de sa chute honteuse fut gratifié de son regard le plus détestable. Un objet qui n'en était pas vraiment un. Un jeune, accroupi. Ou serait-ce plus juste de dire qu'il était plié en quatre, de sorte que dans le noir, même si on en avait envie, il était difficile de le voir.

« Mais ça va pas, oui, de te mettre en travers du chemin des gens ?! » s'époumona Minami, avant de remarquer la voisine du jeune, habillée plutôt fade, mais mini. De quoi remonter un brin son morale. Ou pas... Il n'était pas branché 'moustachues'. Maintenant toute cette fiesta n'était définitivement qu'un gros fiasco, et il n'y avait plus qu'un seul moyen de sauver la chose:

« On sert d'l'alcool dans le coin ? » leur lança Minami, las, les dévisageant quand même d'un regard noir, pour la forme.