Un conte de fées. Enfin, un conte pour enfants, du moins. C’était un mélange, une réadaptation de deux contes différents. C’était la belle et la bête, ainsi que le vilain petit canard, avec une pointe de… Non, on s’en tiendra là. Evita était devenue la Belle de Li You, de cette bête sans cœur qui n’en fait qu’à sa tête. De ce morveux insolent qui a réussi à maîtriser la cour des grands. Il mérite son titre, il a fait de son mieux pour l’avoir. Il a fait les pires coups, loyaux comme bas, il a versé du sang, il ne le cachait pas. C’était une bête, féroce et sans scrupules, qui se faisait doucement attendrir par sa Belle. Cette belle qui lui faisait sans cesse la morale, qui essayait du mieux qu’elle le pouvait de lui tenir tête, mais qui n’en perdait pas sa douceur. Sinon, comment aurait-il pu si bien dormir chez elle ? Mais Belle est devenue le vilain petit canard ce soir. Même si Li You la trouvait la plus magnifique de l’endroit, il était évident que les autres ne voyaient pas la jeune du même œil. Le jeune homme voyait bien les autres « Dames » la dévisager, et commenter entre elles. Mais lui n’en avait que faire. Le prince avait le droit de choisir la princesse qu’il désirait, celle qui ferait battre son cœur, non ? Alors le vilain petit canard deviendrait un splendide cygne ce soir.

- Si c’est drôle, voir tes joues rougir c’est toujours drôle.

Il pensait ce qu’il disait. Ce soir il avait décidé d’être sincère, d’être lui sans artifices. Sans rien qui vienne troubler son comportement, mis à part cette fichue migraine qui ne partirait pas, qui ne partirait sans doute jamais, et qui un jour enfin deviendra une part entière de son quotidien. A tel point qu’il l’oublierait ? Il n’en savait trop rien, mais il n’irait pas se faire « soigner » pas de nouveau. Les morphines sont bien pires que ses pilules d’ecstasy. Elles rendent accro beaucoup plus rapidement, de façon beaucoup plus incontrôlable. Heureusement, il n’avait jamais pris les cachets qu’on lui avait prescrits. Il en avait étudié le contenu. Après tout, on est mordu de sciences, ou on ne l’est pas.

- Rappelle-moi de t’apprendre ce que sont les mets sur la carte, d’accord ?

Le taiwanais disait ça gentiment. C’était une façon de l’initier à d’autres langues. Et puis lui, il avait tant de temps à perdre, ou plutôt à mettre à profit, que la simple idée de pouvoir passer encore du temps avec Evita, faisait battre son cœur beaucoup plus vite. Bon sang, il fallait arrêter ça, il ne voulait pas s’avouer que… Non, il ne le dirait pas. Ce n’était pas vrai, Evita n’avait pas donné du fil à retordre, non ! Ce ne pouvait pas être possible, et pourtant. Le voilà qu’il s’excusait, qu’il s’excusait de son comportement. Il était sincère, dans chacun de ses mots, dans chacune des inflexions de sa voix. Il mettait ses dires à nu, sans hypocrisie, sans voile protecteur. Tout était comme il le pensait et pas autrement. Elle essaya de dire quelque chose, de l’interrompre sûrement, mais il était lancé. Il fallait qu’il dise toutes ces choses qu’il avait sur le cœur depuis ce soir là. Enfin, peut-être pas toutes, pas tout de suite, la soirée ne venait que de commencer, on n’allait pas dévoiler toutes les surprises dès le départ, ce serait sans intérêt, n’est-ce pas ?

- Evita… Ne reviens pas sur le sujet des petites pilules… Les médecins n’ont pas pu y faire grande chose… Je suppose que ça partira seul… Mais en attendant, je n’ai pas envie de parler de ça ce soir, d’accord ?

Le sourire de Li You lui revint. Il ne voulait pas s’encombrer de choses inutiles, de sujets qui fâchent, ou de thèmes délicats. Ce soir il fallait faire place à la légèreté et la douceur, à un ambiant plus agréable, plus… Intime ? Parce qu’après tout, il ne savait pas tout d’elle, et il mourrait d’en savoir tant… Elle tenait sa main. La sienne était douce et chaude, c’était rassurant, très rassurant même.

La serveuse vint leur servir l’entrée. Tiens, c’était du caviar ? Il n’avait vraiment pas fait attention à la carte en fait ! Mais soit… Il ne prit pas le temps de répondre à sa question de suite, trop lancé dans ce que lui voulait dire. Li You bavard, c’était anodin ça aussi. Monopolisant la parole qui plus est !
Elle souriait. Il était soulagé. Acceptait-elle ses excuses donc ? Elle… était belle… Li You revenait souvent à cette conclusion en la regardant, ça le frustrait presque, non pas que ça dévie sa concentration, mais c’en était pas très loin.

- Non, ce n’est pas forcément normal Evita. Tu as un grand cœur, voilà pourquoi ça te semble normal, mais je peux t’assurer que tout le monde n’est pas comme toi. C’est pourquoi je te remercie.

La serveuse avait aussi servi le vin, il connaissait l’étiquette qui se trouvait sur la bouteille présentée. Par contre, il avait juste fait abstraction sur le fait qu’Evita ne connaissait pas forcément, ou n’aimait pas spécialement. Il rit en la voyant grimacer, elle toussait aussi, il tendit sa serviette.

- Oui c’est un peu amer… Tiens, essaye ça, tu apprécieras peut-être mieux, et pas besoin de fourchette, moi je préfère avec les doigts !

Un clin d’œil et le voilà qu’il prenait la petite tartine entre ses doigts, en croquant un bout. Ses papilles aimaient ce goût subtil qui se propageait dans sa bouche, mais ses yeux et autres sens ne semblaient pas vouloir prendre le temps d’apprécier, de déguster. Il avait vite remarqué que beaucoup de regards se pointaient vers une seule et même direction. Il se passait quoi ? Ça ne sentait pas bon, c’était évident. Il joint son regard à celui des autres. Il retint un juron. Ces types étaient sûrement envoyés par ce gars qu’il avait tabassé la dernière fois. Le type qui avait osé abuser de l’une de ses « employées ». Li You lui avait offert un ticket pour l’hôpital, et aujourd’hui, il avait entendu que ces hommes le cherchaient. Il n’avait pas d’objection à faire là-dessus, mais venir le chercher au restaurant c’était trop. Sous la table, un de ses poings se crispa.

- Arrêter… Je vais essayer du moins. La preuve, je n’ai rien pris aujourd’hui, je n’ai fait que fumer mes clopes, rien de plus.

Voilà, reprends le fil de la conversation ça te détendra. Li You, ne t’énerve pas. Tu sais que tu auras du mal à rester calme, mais tu le fais, tu ne veux pas gâcher cette soirée, si ? La serveuse va bientôt revenir…

- Viande ou poisson ? Ça t’évitera d’avoir à relire ce menu incompréhensible !

Il sourit. Il choisirait pour elle, puisque c’était ce qu’elle voulait, il n’y aura pas de soucis. Et il s’occuperait de ces gars plus tard. Tant qu’ils ne s’approchent pas, il n’y a rien de grave. Voilà restez à l’entrée, regardez la table sans bouger, mais n’approchez pas, c’est un conseil, le meilleur que l’on puisse vous donner.